Compétition nationale

Il y a, dans cette compétition nationale, quelque chose d’un grand récit choral où les êtres avancent masqués, vulnérables, contradictoires, et où le cinéma se fait lentement révélateur, battement de cœur perceptible sous la surface, des enjeux de son époque.

Les hommes, d’abord, avancent à tâtons en donnant l’illusion de la maîtrise. Les plus fragiles d’entre eux se réfugient dans les extrêmes en cédant aux sirènes du masculinisme dans Gueule cassée, quand d’autres, pleins de certitudes vacillantes, laissent s’exprimer leurs désirs non avoués (envers un ami d’enfance dans Je veux danser ou une entité beaucoup plus mystique et testostéronée dans BOA), ou leurs failles (la pudeur mise à nue dans Biche). Via leur vulnérabilité quelque chose d’étonnamment humain se révèle, une lumière qui se fraie un chemin dans la brèche et nous permet de mieux les comprendre et parfois même, de les aimer.

De l’autre côté, les femmes reprennent le pouvoir. Parfois avec une douceur qu’on leur prête souvent – l’expression “une main de fer dans un gant de velours” pourrait définir le personnage joué par Coralie Russier dans Dernières nuits, premiers jours –, parfois avec une violence sourde lorsqu’elles retournent la table en inversant un rapport de domination devenu insupportable, qu’elles soient poussées à bout par un patron cruel dans Les Forcenés ou par un maitre chanteur dans Coyotes. La séduction sera aussi furieusement au rendez-vous comme nous l’annonce la chanson interprétée par La Lupe au début de Fanny à la plage : « L’amour fou, cette obsession, je ne sais pas quoi faire depuis que je ressens cette tentation ». Qu’elles soient seules ou en équipe, à la plage avec des pizzas dans Au Bain des Dames ou au restaurant avec un biriyani dans Sulaimani, la résilience sera souvent leur meilleure arme et toutes semblent porter en elles un élan de solidarité, discret mais déterminant. Une sororité qui permettra à celles qui étaient brisées de trouver une forme nouvelle, à la manière du Kintsugi, cet art japonais qui permet de restaurer des objets cassés ou abîmés, non pas en dissimulant les fêlures, mais en les sublimant avec de l’or.

À l’arrière-plan, le monde bruisse d’une ironie mordante : un capitalisme qui s’étire jusqu’à l’absurde, comme dans Veuillez patienter qui propose une réalité qui glisse vers la démesure pour mieux en dévoiler la logique. Les films jouent de ces excès, les décalent juste assez pour que surgisse la vérité sociale cachée dans le tragique, comme celle qui transperce tous les protagonistes de Faux bijoux en quête d’une vie meilleure ou le mystère d’une disparition soudaine qui questionne un journaliste en immersion dans Peau d’argent. Cette compétition nationale aura bien sûr son lot de rencontres inattendues et de portraits de familles. Nous assisterons à la naissance de duos improbables, d’amitiés décisives – parfois romantiques -, de familles qui s’effritent et se (re)composent.

Lorsque le temps passe, les corps fatigués apparaissent, ceux qui se laissent peu à peu apprivoiser par la maladie ou le vieillissement. D’eux, nous ne détournons pas les yeux : le regard se pose alors sur celles et ceux qui accompagnent, qui veillent, qui portent et qui n’accusent pas toujours le poids de cette responsabilité, comme Gaëlle dans Seule la tendresse, cruellement en quête d’amour au sein d’un hiver mordant comme la mort, ou le jeune Abel qui se détourne du corps émacié de son père offert à un été brûlant dans Soleil pâle.

C’est en cela que les deux films choisis pour représenter la France dans la compétition internationale synthétisent ces enjeux et ces nécessités. Mardochi de Lucas Gloppe évoque l’échec dans la quête d’un souvenir : de retour de Rabat, Vincent n’est pas parvenu à retrouver la maison d’enfance de son père, parti du Maroc à l’indépendance et désormais mourant. C’est la rencontre impromptue avec Ahmed qui lui permettra de se réconcilier avec ce père si longtemps craint. La fiction animée Une fugue de Agnès Patron ressuscite, elle, le temps d’une nuit, le souvenir d’un frère parti depuis longtemps dans l’esprit d’une sœur qui peine à faire son deuil. Ici, les fantômes ne veillent pas pour effrayer, mais pour insuffler aux vivant·es la force d’avancer.

Par la variété de ses récits et la finesse de ses regards, cette sélection éclaire les lignes de force et les angoisses qui traversent notre époque. Elle confirme la capacité du cinéma à offrir un lieu où nos expériences, individuelles et collectives, se donnent à voir autrement.